Tant de temps + toute petite pause

TANT DE TEMPS

Déjà 17 heures. Je pense à la chanson de Jacques Dutronc. Bruxelles ne s’éveille pas. Je quitte mon univers bureaucratique étriqué, comme un fœtus sort du ventre de sa mère lorsque le temps est arrivé à son terme.

Vendredi, fin de semaine. Un jour comme un autre. Et pourtant non, chose étonnante ce soir, le soleil brille de mille feux. Une belle journée printanière qui se termine.

Je prends ma veste dans la penderie, devenue trop chaude pour la saison, tant pis, il faudra bien que je la mette, car ici le temps peut changer d’un jour à l’autre si rapidement. Aujourd’hui 17° demain 11°. J’ai appris à l’école, que nous vivions sous un climat tempéré. Quel drôle de terme pour ce pays, où les températures montent et descendent comme des montagnes russes. Le climat dit-on est déréglé. Mais peu importe, la veste sur le dos, le bureau pas trop mal rangé, je m’éloigne de cet endroit plein de papiers et de mauvaises odeurs, pour fermer le temps de deux journées complètes, la porte à clef de cet endroit où le vampire patron, m’a sucé toute mon énergie.

 

Je descends presque en sautillant les marches recouvertes d’un tapis usagé que tant de pas ont déjà foulé, et où je manque de m’étaler sur une seule marche qui me fait un croc en jambe, histoire d’un peu corser ma sortie de ce soir. J’injurie tout bas ce bout de tissus épais qui, une fois de plus a failli me faire tomber.

Je m’empresse de sortir. Le tram, cette fois ci je ne souhaite pas le rater.
L’arrêt est à deux pas.

Les poubelles ont été sorties la veille au soir et elles jonchent encore le trottoir, étalées devant moi, quitte à les enjamber une fois sur deux. Des cartons par-ci, d’autres sacs plastiques par-là, bien fermés et réglementés par Bruxelles-Propreté. Je me demande en voyant tout cela où se trouve la propreté. Elle a dû se perdre dans les nombreux formulaires sortis, pour l’occasion de la nouvelle réglementation.

 

L’atmosphère tend vers la clarté. Je regarde les arbres autour de moi, remplis de petites feuilles toutes nouvelles, qui commencent à pousser d’un vert si tendre, que je les mangerais et en ferais une excellente salade. Je ris de ma comparaison ridicule. Plongée dans mes réflexions, j’oublie les arbres et vais m’asseoir sur le banc de l’abri, afin d’attendre ce tram avec tellement d’impatience. La maison m’attend et le repos aussi. Mais non que dis-je ? Quel repos ? Encore tant de choses à faire !!!!

 

17h10 le transport en commun ne saura tarder. Une dame assise à côté de moi, vêtue de vêtements sombres, secoue autour de ses doigts les clefs de sa maison ou de son appartement. Je ne connais rien d’elle et pourtant nous sommes là côte à côte et trouve ridicule de ne pas nous parler, parce que notre éducation ne l’a pas permise.

Je regarde devant moi les yeux dans le vague, la verdure entre les rails. Cette herbe, une nouvelle expérience pour l’environnement de la région, histoire d’enjoliver ces deux barres parallèles qui montent vers le parc situé en haut de la chaussée, cette herbe si tendre, si verte, apparemment immaculée.

 

Un homme accompagné de son chien passe devant moi. Je me dis que la promenade doit bien être difficile, pour devoir ainsi sillonner entre les crottes laissées par d’autres animaux de compagnie passés avant le sien qu’il traîne derrière lui sans aucun entrain ! J’oublie mes pensées et je me laisse aller à savourer ces instants avec beaucoup de bonheur. Le soleil darde ses rayons sur mes jambes allongées dans un abandon total à la chaleur de cette fin de journée.

 

Je sens monter en moi une énergie incroyable, une joie exquise, c’est le printemps et je sens ce renouveau couler dans mes veines, cette sève qui monte aussi en moi sous forme de projets, d’exaltation passagère. Une brise légère vient me chatouiller le bout du nez. Je souris ce soir à la vie, pour cet astre qui la donne sur notre terre.

Je respire l’air qui passe. L’odeur est légère, malgré les automobiles qui circulent, aussi bien celles qui montent la chaussée, que celles qui la descendent. Que de pollutions et pourtant, je respire, je sens, je hume l’odeur des arbres, et je parviens à détecter au-travers de toutes ces senteurs diverses, quelque chose de respirable, de bon, de délicieux à humer. Je prends ce que je peux, car l’endroit n’est guère propice, mais l’instant est merveilleux.

Je me tourne vers la dame toujours assise à côté de moi et nous parlons pendant quelques secondes de ce beau temps.

 

Le tram 18 qui nous amènera à notre destination doit bientôt arriver, c’est bientôt l’heure, tient-le voilà ! Il arrive. Mes yeux scrutent l’horizon, l’arrivée tant attendue de ce transport.

Et puis déconfiture, il s’agit d’un « hors service ». La dame souhaite monter, mais les portes ne s’ouvrent pas, forcément, ce n’est pas le bon ! Je lui signale qu’il est encore trop tôt.

Nous sommes là assises, complices dans l’attente, silencieuses. Je profite toujours des feuilles, du ciel, de la chaleur sur mes jambes, un moment privilégié, un bonheur qui passe, quelques moments fugitifs.

 

17h15, il est en retard de 2 minutes, c’est normal, la ligne est fort fréquentée, et en plus il vient du centre et se dirige vers la direction « Silence » où se situe son terminus. Pourquoi Silence, car là se trouve un cimetière hors de la ville. Cela dût être d’actualité il y a bien longtemps, maintenant le lieu-dit « Silence », n’est plus aussi silencieux qu’autrefois. Un quartier est venu s’y ajouter. La circulation y est intense, elle se dirige vers une autre agglomération importante. Une autre ligne de tram y passe aussi et prend une direction différente. Un véritable carrefour cet endroit où reposent ceux ou celles qui ont terminé leur parcours sur terre.

Je consulte ma montre, mais nom d’un chien quand va t’il donc arriver ce foutu tram. Il a déjà 2 minutes de retard.

Puis le miracle s’accomplit, l’attente se termine.

Le voilà le long d’un quai construit en plein air, à l’arrêt. Mais les portes restent ostensiblement fermées. Le conducteur se lève les vérifie. Pas moyen de monter, il va encore falloir attendre. Je subis ce contre temps avec patience, il fait si beau.

Il reste à l’arrêt, il est en panne.

© Geneviève O. Mai 2004

Totalement autobiographique, avant que je ne vienne habiter à Bordeaux en mai 2004. Quant à la sortie du boulot, j’ai dû donner mon préavis avant mon mariage et mon voyage vers la France 🙂 Le tram n’est plus le même et ne porte même plus le même numéro. Tout a bien changé depuis cette date. 🙂

Le piano

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Le piano

J’étais passée à diverses reprises devant la maison d’où sortaient des sons de musique qui avaient attiré mon attention. Cette personne jouait du piano de façon sublime. La fenêtre était ouverte. Je m’étais arrêtée pour écouter la musique.
Elle était empreinte de sensibilité, et l’artiste me semblait-il avait du talent. J’étais subjuguée par sa façon de jouer, et prise d’une soudaine impulsion, je voulus savoir qui j’allais découvrir derrière la porte.

La maison qui formait un coin dans une rue adjacente bordée de maisons anciennes, où une main pendue à la porte d’entrée servait de heurtoir se trouvait dans un vieux quartier de la ville.
Je frappai et attendit le coeur battant que quelqu’un vienne ouvrir. Je n’attendais rien. Ou plutôt si, d’être surprise.
Une porte qui s’ouvre, un regard qui m’effleure. Je me sens déjà troublée.
Un homme dans la quarantaine  se trouvait devant moi, les tempes grisonnantes, le sourire aux lèvres. Des cheveux mi-longs, une tenue assez négligée mais propre. Je le trouvai bel homme.
Son regard était interrogateur. J’avais vraiment envie de rentrer.
Alors j’invoquai des informations sur le piano, un article à faire, et lui avouai que je l’avais entendu jouer depuis l’extérieur, et souhaitais quelques informations sur son travail.

La maison était accueillante, ce que je pouvais attendre d’un artiste. Des partitions jonchaient le sol, également éparpillées sur le dessus du grand piano. Mon regard s’attardait autour de moi. Je humais l’atmosphère fraîche qui y régnait. C’était le début de l’été.
Il s’était entre-temps remis au piano, m’avait servi à boire, et repris le morceau qu’il jouait. Il me disait qu’il préparait un concert et qu’il ne se sentait pas du tout prêt pour la date assez proche.

Il jouait le concerto pour piano de Rachmaninov, mon morceau préféré. Ses doigts agiles glissaient sur les touches un peu jaunies par le temps, et regardant au-delà de ses épaules, j’aperçus sur le mur d’en face, de merveilleux dessins japonais et chinois, ainsi que quelques dessins au crayon représentant un homme et une femme enlacés ou bien enroulés sur eux-mêmes dans l’acte d’amour.
Je me perdais dans ces coups de crayon, rêveuse, tout en écoutant les sons qui dans ce premier mouvement, allaient crescendo. C’était poignant, et l’interprète avait un talent incontestable.

Je m’approchai de lui, près de son dos. Il était habillé légèrement et je percevais sous la toile de lin, la peau de cet homme qui m’émouvait en ce moment.

J’étais là près d’un inconnu, et ni lui ni moi nous ne nous posions aucune question, attentifs à la minute présente, à l’instant qui passe.
Je voyais sa nuque, recourbée, tressautant par moment. Mes yeux rivés sur cette peau légèrement bronzée passaient d’une épaule à l’autre, longeaient ses bras, sa taille. J’essayais de deviner sous ses vêtements, sa peau si tentante.

Je me penchai, mes seins sous un haut de dentelle, généreux, frôlèrent son vêtement, et du bout de ma langue, très légèrement je pris les gouttes de sueur qui perlaient à la lumière.
Dès le premier regard, ses yeux d’un brun profond m’avaient captivée, sa stature imposante et bien enveloppée m’avait de suite attirée.
Il n’était pas rasé, mais bon cela ajoutait à ce charme un peu discret qui émanait de sa personne.

Une main droite s’arrêta sur une note, une blanche, temps suspendu, où tout est possible. Je le savais, mais je risquais.

Il pivota sur lui-même, et je crus, un bref instant qu’il allait me mettre dehors. Son regard profond et intense, brillant, plongea dans le mien, sans un mot.
Il me sourit, me détailla des pieds à la tête, laissant son attention un court instant s’arrêter sur mes vêtements légers, mon buste, ma taille, mes jambes, pour revenir tout aussi rapidement sur mon visage, avec toujours ces mêmes yeux un peu énigmatiques.

Il me prit la main, la posa sur ses yeux, sur sa bouche.
– Asseyez vous me dit-il, à côté de moi.

Ce que je fis. J’avais envie de lui parler, de mon projet, d’expliquer ma présence, mais au moment où j’allais prendre la parole, il m’intima l’ordre de ne rien dire, et se remit à jouer.

J’écoutais ce premier mouvement, et me laissais bercer par les notes qui m’emportaient, s’insinuaient en moi, me pénétraient dans chaque fibre du corps, comme dans une union charnelle.

Soudain, sa cuisse gauche se colla contre la mienne. Je tressaillis. Le contact était doux, troublant, étrange. Je n’osais pas bouger. Je constatais que ce contact me plaisait et que les mots étaient inutiles.

Ses mains maintenant courraient sur les touches et les notes défilaient de plus en plus rapidement. Je connaissais ce concerto par cœur, et en même temps je ressentais le doux émoi qui s’emparait de moi. Le romantisme de l’œuvre éclatait au grand jour, dans un éclatement de notes de plus en plus pathétiques.
J’étais envahie par la musique comme celui qui se trouvait à mes côtés, et mon cœur s’envolait avec le sien, transportés ensemble dans l’écriture lyrique du compositeur.
C’était maintenant l’envolée passionnée de la fin de ce premier mouvement.
J’observais le visage du pianiste ruisselant de sueur, et mon regard souhaitait captiver le sien, au rythme des notes.

Je levai les doigts vers son visage, et le tournai vers moi. Nos yeux s’accrochèrent l’un à l’autre dans une même vibration. Mon corps tremblait autant que le sien, chacun assoiffés de la même passion que celle émise par les notes de musique.

Lorsque les derniers sons tragiques et ultimes se firent entendre, et que le silence se fit, il mit ses deux mains autour de mon visage, se pencha vers moi, prit mes lèvres contre les siennes, et avec fougue m’embrassa. Il m’avait pris aux épaules et m’écrasait contre son torse. Sa langue fouillait avec insistance ma bouche, pour venir y chercher la mienne. Son baiser était passionné, et je me laissai aller avec délices à y répondre avec le même plaisir.

© Geneviève O – juillet 2006