Aux amis inconnus – Sully Prudhomme

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Aux amis inconnus

Ces vers, je les dédie aux amis inconnus,
À vous, les étrangers en qui je sens des proches,
Rivaux de ceux que j’aime et qui m’aiment le plus,
Frères envers qui seuls mon coeur est sans reproches
Et dont les coeurs au mien sont librement venus.

Comme on voit les ramiers sevrés de leurs volières
Rapporter sans faillir, par les cieux infinis,
Un cher message aux mains qui leur sont familières,
Nos poèmes parfois nous reviennent bénis,
Chauds d’un accueil lointain d’âmes hospitalières.

Et quel triomphe alors ! Quelle félicité
Orgueilleuse, mais tendre et pure, nous inonde,
Quand répond à nos voix leur écho suscité,
Par delà le vulgaire, en l’invisible monde
Où les fiers et les doux se sont fait leur cité !

Et nous la méritons, cette ivresse suprême,
Car si l’humanité tolère encor nos chants,
C’est que notre élégie est son propre poème,
Et que seuls nous savons, sur des rythmes touchants,
En lui parlant de nous lui parler d’elle-même.

Parfois un vers, complice intime, vient rouvrir
Quelque plaie où le feu désire qu’on l’attise ;
Parfois un mot, le nom de ce qui fait souffrir,
Tombe comme une larme à la place précise
Où le coeur méconnu l’attendait pour guérir.

Peut-être un de mes vers est-il venu vous rendre
Dans un éclair brûlant vos chagrins tout entiers,
Ou, par le seul vrai mot qui se faisait attendre,
Vous ai-je dit le nom de ce que vous sentiez,
Sans vous nommer les yeux où j’avais dû l’apprendre.

Vous qui n’aurez cherché dans mon propre tourment
Que la sainte beauté de la douleur humaine,
Qui, pour la profondeur de mes soupirs m’aimant,
Sans avoir à descendre où j’ai conçu ma peine,
Les aurez entendus dans le ciel seulement ;

Vous qui m’aurez donné le pardon sans le blâme,
N’ayant connu mes torts que par mon repentir,
Mes terrestres amours que par leur pure flamme,
Pour qui je me fais juste et noble sans mentir,
Dans un rêve où la vie est plus conforme à l’âme !

Chers passants, ne prenez de moi-même qu’un peu,
Le peu qui vous a plu parce qu’il vous ressemble ;
Mais de nous rencontrer ne formons point le voeu :
Le vrai de l’amitié, c’est de sentir ensemble ;
Le reste en est fragile, épargnons-nous l’adieu.

René-François Sully Prudhomme. (1839-1907) – Les vaines tendresses

Illustration

Les mots

Les mots

Nous nous sommes rencontrés sous la plume, au sein d’une page blanche.

Les liés et déliés de nos langues respectives nous avaient fait découvrir que nos cœurs étaient à l’unisson mais nullement libres.

Tu m’as conquise par ta magie, je t’ai conquise par mon érotisme. Les mots se sont couchés, se sont enchevêtrés, et le Merveilleux nous a enveloppés dans son grand manteau mystérieux d’un amour, d’une amitié, de désirs fougueux.

Les auteurs de ces mots nous ont fait vivre de merveilleux moments, d’une profonde intensité, d’envolées passionnées vers des sons d’une mélodie si douce à nos oreilles.

Je me suis couchée sur la pureté de ce lit, et les lettres je les ai tendues vers toi, comme une bouche sensuelle pour mieux te prendre du bout des lèvres, avec cette gourmandise que tu connais. J’ai avalé les mots, l’alphabet, comme différents nectars exquis, je me suis caressée avec toutes ces ondulations qu’ils formaient.

Il y a eu les lettres, puis les mots. Les phrases ont suivi et nous ont attirés dans une danse lascive irrésistiblement l’un vers l’autre.

Tu as attiré la lettre A, celle de l’amour, et puis la lettre D, de désir, vers tes doigts habiles.

Moi j’ai cueilli la lettre A, comme toi, puis la lettre C, comme cœur, la lettre F comme folie, la lettre P, comme passion.

Nous les avons mélangées toutes ces lettres, nous nous en sommes habillés, mais elles n’ont pas suffit pour nous réchauffer des rigueurs de l’hiver, et de la flamme qui dangereusement s’approchait de la feuille.

La bougie qui brûlait près de la page était là pour éclairer les auteurs, les lettres, les mots et les phrases.

Mais devant les écrivains, les lettres ont commencé à s’entremêler, prises par des désirs soudains et inassouvis. Deux lettres A se sont fait face, se sont caressées, et se sont écroulées sur cette page prises par un tel vertige, de sensualité, de désir, et d’érotisme. Enroulées l’une dans l’autre elles n’ont plus formé qu’une seule lettre A dans l’union totale et fusionnelle.

C’est à ce moment là qu’un grand coup de vent faillit faire tomber la bougie sur la page remplie de phrases.

Finalement la plume resta en suspens au-dessus du texte inachevé, et se dirigea vers le pot d’encre, s’y plongea, pour continuer un récit qui n’a pas de fin.

Aujourd’hui l’un des auteurs n’écrira plus, son encrier personnel est tombé.

Il ne reste plus que la plume que je tiens dans la main, suspendue dans l’air, à la recherche des mots qui nous ont si souvent, fait tant de fois rêver ensemble, au-dessus de toutes les contingences de l’âme, de l’esprit et rien qu’à l’écoute du cœur.

Mais les écrits, peuvent devenir cruels devant la réalité de l’existence, qui elle ne fait pas de cadeaux, même si les mots et les phrases restent vrais, authentiques.

Les larmes coulent sur le papier, à la recherche, d’une boucle, d’un délié, ressemblant à la courbe de ton corps tant de fois imaginé, enroulé autour du mien.

L’union des lettres était une chose, mais l’esprit s’est emparé des mots et des phrases, le cœur les a accompagnés, et le tout est retourné à l’état du rêve et du fantasme, ce qui était le début de la page.

Les mots Cœur, Amour, Folie, Désir, et aussi Amitié font actuellement une grande sarabande dans le mot Vie.

Elles nous prennent réellement chacune séparément, et nous emportent vers d’autres horizons.

Toutefois, les souvenirs sont tellement beaux, respectueux, merveilleux, que la plume ne peut que se poser sur la page pour continuer seule à chanter l’amour et l’érotisme et tracer en ton nom de nouvelles notes, qui viendront s’ajouter au chant mélodieux que nous avions commencé ensemble et où l’amour pour les auteurs continuera et portera le nom : Amitié.

Alors de ma plume j’écris Amitié tu es, au nom de l’amour que je te porte.

© Geneviève. O (filamots – pétale 2006 autres pseudos sous lequel cet écrit a été publié.)

Source de l’image : http://antiblouz.blog.lemonde.fr/2006/06/