La bâtisse – Atmosphère

Atmosphère

 

La demeure se dressait devant elle, hostile.

Son bagage à la main, Fanchon accompagnée de sa mère se rendait pour les vacances de Pâques dans cet endroit qu’elle découvrait les yeux écarquillés de stupeur.

C’était la première fois qu’elle y venait et aussi paradoxal que celui puisse paraître elle frissonna malgré la température clémente.

Elle savait que sa mère avait fait bien des sacrifices pour payer à son frère ainsi qu’à elle-même, ce séjour de quinze jours.

La maison parut grande pour ses yeux de petite fille de dix ans. Les pierres grises et austères ne l’attiraient pas. Elle préférait la lumière, la beauté, les fleurs, les grandes pelouses vertes, les arbustes.

Autour d’elle, s’élançaient de grands conifères, tout droit dressés, en rang d’oignons, imposants, d’un vert sombre, seul au détour d’un chemin, un grand saule apportait un peu de couleur dans cette atmosphère pesante. Ses longues branches effilées buvaient l’eau de l’étang, à la gauche de l’immense entrée.

Un escalier de pierre à gravir. Son frère Jean ne disait mot. Pour Fanchon c’était normal, ils ne communiquaient guère, ils n’avaient pas les mêmes centres d’intérêts. Il était encore trop petit. Ce dernier, le corps atteint par la maladie, montrait un visage crispé et émacié. Il avait des ganglions aux poumons, et devait pour sa santé avoir un séjour à la mer du Nord, pour bénéficier de l’iode et du bon air tant reconnu par les spécialistes de l’époque. C’est ainsi que malgré elle, les vacances avaient été programmées pour tous les deux.

Fanchon regrettait d’être embarquée dans une pareille aventure, mais elle n’avait pas le droit à la parole, ne pouvait que se taire, obéir, en attendant la suite des évènements. Cela ne se fit pas attendre. Une sœur ouvrit la porte, sérieuse, une coiffe à cornettes lui entourant le visage, et cachant les cheveux.

Elle nous fit entrer et nous guida vers son bureau. Une bibliothèque, un bureau, du carrelage, le tout brillant de propreté.

Sœur Eméralda prit les formulaires, les relut puis les rendit à notre mère pour accord et signature.

Fanchon, assise, attendait. Qu’allait-il se passer maintenant? Elle avait peur de cet endroit. D’instinct, elle n’avait pas envie d’y rester, mais que pouvait elle y faire ? Rien du tout.

Puis, leur mère les embrassa, après des dizaines de recommandations, tant aux enfants qu’à la mère supérieure. Cette dernière les mains dans les longues manches noires, reconduisit maman à la porte, nous laissant mon frère et moi seuls. Lui, dont les jambes se balançaient sous la chaise d’une manière si insouciante pensait Fanchon.

Lorsque la sœur revint, elle les conduisit au dortoir, chacun le sien. Un côté pour les garçons, un autre pour les filles. Des sortes de petites chambrées, bien rangées et protégées par un grand rideau blanc, une petite armoire pour les effets personnels, un broc et un récipient de couleur pour se débarbouiller le matin et le soir.

A la maison c’était pareil, pas de salle de bains, c’était pour les riches. Et la toilette se faisait dans la cuisine, dans une bassine en plastique prévue à cet effet.

Fanchon s’assit sur le lit, toute tourneboulée, prête à pleurer de solitude devant l’inconnu. La peur la reprenait.

Ses jambes ne touchaient pas le sol. Derrière le rideau ouvert, elle apercevait une fenêtre à la vitre blanchie. Pas de regards indiscrets surtout, c’était normal pour un dortoir.

Elle eut soudain envie de s’enfuir, de courir à perdre haleine, de rattraper sa mère, de rentrer chez elle. Mais il était déjà trop tard, elle devait déjà se trouver bien loin, il commençait à faire nuit.

Une autre sœur habillée d’une longue robe brune vint la chercher pour la conduire au réfectoire.

Il y régnait un grand silence. Personne ne bougeait. Elle se laissa conduire à une place libre entre deux autres filles qu’elle n’osa pas regarder.

Ce fut alors la prière, ce que Fanchon connaissait fort heureusement. Elle n’aimait pas les sœurs, se moquait de tout cela, mais se soumettait à la volonté de sa mère qui voulait faire d’elle une bonne chrétienne.

C’est sans atermoiement, qu’elle mit les poignets sur la table comme on le lui avait appris. Le repas l’attendait.

Dans une encoignure de cette grande salle, toute carrelée, trônait une statue de la Vierge Marie. Au-dessus de la porte, un crucifix. Pas de plantes, ni de fleurs, le dénuement le plus total. Elle détestait ce vide monacal. Un espace sans âme, et pour elle sans humanité et sans cœur. Il n’était pas permis de parler, il fallait attendre l’autorisation de la sœur surveillante plantée entre les deux rangées de table. Rien n’échappait à son regard acéré, vif et empreint d’aucune bienveillance.

Après le repas, elle avait écouté avec les autres la météo du lendemain. Ils iraient à la plage. Il ne devrait pas pleuvoir.

Après avoir participé à débarrasser la table, elle accompagna les autres pour une courte récréation où un peu trop timide, elle n’osa adresser la parole à personne. Elle regardait autour d’elle et vit un petit groupe de filles sauter à la corde et un autre jouer à la marelle. Elle aimait les deux. Elle s’approcha pour regarder, c’est tout.

Un claquement des mains, il était temps de monter pour aller se coucher. Comme il faisait encore froid en cette saison, un poêle brûlait au milieu du dortoir. Elle en avait vu la couleur du charbon rougeoyant au-travers des interstices. C’était rassurant, comme à la maison.

Cependant elle avait froid, et ne souhaitait que s’enfoncer sous les couvertures pour dormir et oublier cette arrivée en ces lieux inconnus.

Après s’être lavé les dents, avoir mis sa chemise de nuit, elle s’était glissée sous les draps glacés, propres et amidonnés.

Après toutes ses émotions, elle finit par s’endormir rapidement.

 

Au milieu de la nuit, elle fut réveillée brusquement par l’alarme du bâtiment. Elle se sentait endolorie, avait si sommeil et ne demandait qu’une seule chose : dormir encore. Mais rien à faire, une sœur la secouait de toutes ses forces, elle devait se réveiller et ne pas se rendormir. Elle devait se lever et sortir à toute vitesse du dortoir. Elle observait comme dans un rêve des sœurs qui courraient dans tous les sens, ouvraient les rideaux des petites cellules. Elle ne comprenait pas ce qui arrivait. Elle voyait des hommes en habits étranges. Envie de dormir encore !

J’ai sommeil dit-elle à la sœur qui la tira hors de la pièce.

Fanchon entendit vaguement des mots sans suite : charbon…..cheminée….poêle ….carbone…..danger….vite….. !!!! Elle ne comprenait pas ce qui se passait. On la fit respirer dans une forme d’entonnoir pendant un long moment, puis ce fut le tour des autres filles de son âge. Elle se retrouva dans un groupe, pieds nus en chemise de nuit.

Bien plus tard, la sœur supérieure leur expliqua qu’un accident s’était produit quelque part dans la maison, mais qu’il n’y avait plus rien à craindre, que le danger était passé. Elle n’avait donné aucune autre explication.

Tous les pensionnaires furent transférés dans un autre dortoir de fortune, où il régnait un froid glacial, mais où ils étaient en sécurité.

Fanchon se dit que sa mère avait vraiment eu une très mauvaise idée de l’avoir emmenée avec son frère dans cet endroit horrible.

Pour cette première nuit, elle s’en souviendrait toute sa vie.

Toutefois, elle sourit et se dit : Vivement demain la plage et plongea dans des rêves de petite fille.
© Geneviève O. (brindille33-filamots)  28 août 2010

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Texte écrit pour un atelier.